Une chronique de Martin Winckler, du lundi au vendredi à 07h51.

Prix du Livre Inter 1998 avec son livre « La maladie de Sachs », médecin et romancier, Martin Winckler est un ami d’Inter. Il y a même livré cet été ses observations télévisuelles avec la chronique hebdomadaire « Série ze t’aime, série ze t’adore ». Il nous donne cette année, un rendez-vous très personnel et interactif.

=========================== Martin Winckler © Radio France Quelle est la langue de l’utopie ? Chronique du 17 Décembre 2002

C’est l’Espéranto, une langue dont tout le monde a au moins entendu le nom, mais dont on ne connaît pas toujours l’origine.

L’espéranto a été inventé en 1887 par un médecin polonais Louis-Lazare Zamenhof (vous avez peut-être une rue du Docteur Zamenhof dans votre ville et vous vous êtes peut-être demandé de qui il s’agissait, et voilà un sujet de chronique tout trouvé : qui sont les personnes aujourd’hui inconnues à qui on a donné des noms de rues). Mais revenons au Dr Zamenhof, qui naît en Pologne en 1859 au milieu des Polonais, des Russes, des Allemands et de sa communauté d’origine, les Juifs vivant dans les ghettos. Dès l’âge de 15 ans, devant les conflits incessants entre différentes communautés, Zamenhof qui parle plusieurs langues élabore un projet de langue universelle. En 1887, à l’âge de 28 ans, il publie son premier manuel : « Lingvo Internacia de Doktoro Esperanto », « Langue internationale du Docteur Espéranto », Espéranto, c’est « celui qui espère », un mot dont Zamenhof a fait son pseudonyme. L’espéranto n’est pas la seule langue inventée. La première était le volapük, née de l’imagination d’un prêtre nommé Schleyer et, tout récemment, les amateurs de la série « Star Trek » ont mis au point une langue imaginaire très riche, le klingon. Mais l’Espéranto est la plus parlée au monde. Quand Zamenhof l’a élaborée sa langue, il l’a construite de manière logique sur des racines et des structures existantes et utilisées par les langues vivantes des groupes indo-européens. Il en a prévu aussi l’évolution. Toute sa vie il se consacrera à son développement, qui se concrétise en 1905 par un premier congrès universel à Boulogne sur Mer pendant lequel sept cents participants adoptent la grammaire fondamentale de l’Espéranto. Au cours de sa vie, Zamenhof entreprend aussi la traduction d’oeuvres littéraires en espéranto, comme Hamlet, de Shakespeare, George Dandin de Molière ou des extraits de la Bible. Il meurt relativement jeune, en 1917 à Varsovie mais sa langue continue à vivre.

ON reproche à l’Espéranto d’avoir été créé « de toutes pièces ». Mais il n’existe pas, à proprement parler, de langue « pure ». Une langue, ça évolue sans arrêt, inévitablement. L’italien, l’allemand sont des langues qui se sont imposées récemment, par nécessité politique, sans pour autant faire disparaître les nombreux dialectes qu’ils étaient censés supplanter. D’ailleurs, le manifeste de Prague pour la langue internationale Espéranto, rédigé en 1996 n’appelle pas à un nivèlement des langues mais au contraire, au plurilinguisme, et au respect des particularités linguistiques.

Aujourd’hui, l’Espéranto n’est pas une simple curiosité. L’Unesco en a reconnu l’existence, et on estime que le nombre de personnes au monde qui parlent l’espéranto est de l’ordre de 3 à 6 millions. C’est une langue capable de tout ce dont une langue est capable, y compris de jeux de mots et de calembours, et un auditeur m’a indiqué qu’il existe aussi dans la petite république de San Marin, une académie internationale des sciences dont les débats ont lieu en allemand, en anglais, en français et en italien , mais aussi en Espéranto et qui comptait en 1995 un millier de scientifiques vivant dans 66 pays. Qui peut apprendre l’Espéranto ? Tout le monde, car il s’agit d’une langue tout à fait accessible aux autodidactes et, grâce aux innombrables sites qui lui sont consacrés sur l’internet, on peut se familiariser facilement avec ses rudiments. La coutume veut également que, si l’on est espérantiste, où que l’on aille dans le monde, la porte des autres espérantistes vous soit toujours ouverte. Bref, l’Espéranto est la langue de l’utopie, la langue d’un monde dans lequel chaque individu chercherait avant tout à comprendre l’autre et à se faire comprendre de lui.